Ewane Roland, sous-préfet de l’arrondissement d’Idabato, a été enlevé dans la nuit du 1er octobre 2024.
5 ans après le grand dialogue national, la zone anglophone au Cameroun continue d’être le théâtre des rapts. La nuit du 1er octobre 2024 a connu à 2heures du matin l’enlèvement de l’autorité administrative locale Ewane Roland. Au moment, où nous mettons cette brève en ligne, Ewane Roland est toujours introuvable. D’après certaines indiscrétions, l’autorité a été enlevée par un groupe de pirates et conduit vers le Nigéria.
Depuis plusieurs mois, les activités de piraterie et d’insécurité se sont intensifiées, avec une recrudescence des incursions maritimes provenant du Nigeria voisin. Même si rien ne filtre sur l’identité de ces kidnappeurs, il faut souligner que cet enlèvement arrive non seulement au moment où un leader séparatiste a été arrêté en Norvège, et le 1er octobre 2024; une date symbolique, le jour où le “Southern Cameroon” est devenu indépendant et où la nation a célébré la réunification et la naissance de la République fédérale du Cameroun.
À propos de ce 1er octobre 1961, le Bâtonnier Akere Muna dit : « J’ai défilé ce jour-là et j’ai rejoint le reste de la nation enivré par le rêve d’un nouvel avenir plein d’espoir dans une nouvelle nation bilingue et fédérale. La promesse de se connaître et de protéger la nature fédérale de l’État a été inscrite dans la constitution. 63 ans plus tard, l’espérance donne lentement lieu au désespoir. Aujourd’hui, nous sommes hantés par les erreurs que nous avons commises dans le passé. Le sang a été versé et la volonté et les rêves d’un peuple ont été subvertis. Donc, en 2025, nous devons être prêts à nous battre pour l’âme de notre nation. Bonne fête de la réunification/indépendance ».
Bien que certaines zones contrôlées par les séparatistes connaissent une accalmie apparente, les populations des deux régions anglophones, y compris les grandes villes, sont toujours contraintes d’observer des “ghost towns”, des opérations ville-mortes instaurées par les séparatistes et qui obligent les citoyens à garder marché et commerces fermés au moins une fois par semaine.
Violence quasi permanente
C’est comme une sorte de lassitude qu’on observe chez les ressortissants du nord-ouest et du sud-ouest, les deux régions de l’ouest anglophone du Cameroun, dont certaines localités sont confrontées à des violences depuis la radicalisation de la crise. Les violences dans les deux régions anglophones du pays ont déjà couté la vie à plus de 6000 personnes depuis 2016, estime l’ONG Human Rights Watch. Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, OCHA, dans son dernier rapport, estime qu’au moins 638 421 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays en raison de la violence dans les deux régions, tandis que plus de 63 204 ont fui vers le Nigeria.
Lors de la dernière rentrée scolaire, les groupes armés ont menacé de s’en prendre à ceux qui prendraient le chemin des classes, demandant le boycott de l’école. Selon Ocha, au moins 13 incidents violents contre l’éducation ont été signalés au cours des six premiers mois de 2023 et 2 245 écoles ne fonctionnent pas dans les régions anglophones, ce qui représente encore 36 % des établissements scolaires dans la zone.
« Grand Dialogue National », tenu en 2019
Les autorités ont tenté de résoudre le problème en prenant comme résolution, lors du « Grand Dialogue National », tenu en 2019, d’accorder une autonomie spéciale aux deux régions anglophones. Cette spécificité déjà prévue dans la constitution de 1996 devrait permettre aux deux régions anglophones d’élaborer des politiques publiques dans les domaines de l’éducation et de la justice. Elles devraient bénéficier d’une chambre de représentants et d’une chambre des chefs traditionnels.
Mais depuis l’adoption de la loi en 2019, les choses n’ont pas assez avancé. “Au plan institutionnel et politique, le Public Independent Conciliator a été nommé. Les Assemblées exécutives régionales ont été mises en place, mais au plan pratique, on n’observe pas une grande différence entre ce qui est fait dans les huit régions francophones et ce qui est fait au NOSO”, explique Bertrand Iguigui, chercheur sur les questions de décentralisation à l’université de Douala.
Plusieurs résolutions du dialogue national de 2019, sensées résoudre la crise dans les régions anglophones, n’ont pas encore été mises en pratique, renchérit Njankouo Sandamoun, historien politique et chercheur à l’université de Yaoundé 1. La raison est que « le casting de ce dialogue n’a pas été bien fait ». Une solution définitive devrait venir “d’un vrai dialogue national, sans tabou et sans un agenda imposé aux autres parties prenantes” estime Rodrigue Tongue, président du club des journalistes politiques du Cameroun.